Ce que vous allez apprendre dans cet article :

  • La vie de l’é­di­teur sur un salon : fin et rangement

Alors, grandes canailles, vous en vou­lez encore ? Le récit du ven­dredi et du samedi ne vous a pas suffi ? Alors voici, puisque vous le récla­mez en tré­pi­gnant, l’histoire d’un dimanche au salon du livre.

Salon du livre lambda, 7h30

Je suis sur l’autoroute. Je m’écoute un disque sympa, Highway to Hell. Je ricane. Cette auto­route-là, elle ne conduit pas à l’enfer, elle conduit… nulle part. Pas un chat. C’est l’heure où les gens, dans les pate­lins, vont à la messe.
À la hau­teur de la sor­tie 22, je croise un vieux pneu, et puis c’est tout.
Ah si, il y a quelqu’un d’autre devant moi. Il ne me voit pas, il est trop loin. Un cama­rade de dimanche matin, un expo­sant peut-être, qui se dirige lui aussi vers la grande ville et son parc des expo­si­tions. Bonjour, cama­rade… Bon Scott rugit dans l’habitacle.
La voi­ture de l’autre gros­sit dans le pare-brise. Il doit rou­ler à deux à l’heure, parce que moi je ne vais pas bien vite. Étrange, on dirait qu’il roule en zig­zag… Je m’approche encore, je peux le voir main­te­nant. Une petite voi­ture bleue. Le gars ne reste pas sur sa voie, il n’arrête pas de se dépor­ter à droite et à gauche.
Et sou­dain, il est assez près, et je com­prends : ce salaud-là vient à contre­sens ! Il me fonce des­sus, et il essaie de m’ajuster en don­nant des coups de volant !
Les secondes s’accumulent. Trop vite, beau­coup trop vite. Je braque, mes pneus pleurent, j’entends un choc de fer­raille. Je me suis pris la glis­sière. L’autre fou furieux me klaxonne, il est déjà loin…

8h15

Je suis enfin sur le stand, encore tout mou, tout coton­neux. Personne ne le remarque, tout le monde s’affaire sur ses tables.
Je pense à saint Nicolas, le patron des édi­teurs (enfin je crois). Je trouve ses voies par­ti­cu­liè­re­ment impé­né­trables.
Je m’occupe moi aussi des nappes et des spots, sans convic­tion. Quelle impor­tance que tout ça, après ce qui a failli m’arriver ?

9h30

Le chef débarque. Heureusement, il semble avoir oublié son his­toire de bon­nets de bain. Je ne la lui remé­more pas.
Cela dit, il a eu une nou­velle idée. Nous avons fait fabri­quer des sacoches pro­mo­tion­nelles. Des trucs immondes en plas­tique, avec notre logo imprimé tout baveux. L’idée était d’en offrir à chaque gros client. Malheureusement, hier, nous avons dû échan­ger une sacoche : cette saleté chi­noise a cédé dans la main du client, cent mètres après le stand. Alors, que faire ? Mon patron a trouvé ZE bonne idée : on va mettre les livres et la sacoche pro­mo­tion­nelle dans une poche plas­tique, et on va don­ner le tout comme ça au client. Lumineux, n’est-ce pas ?

11h30

Olivia d’Alberto est arri­vée. C’est notre auteur fétiche en lit­té­ra­ture. Une grande dame. Une vraie plume.
Bon, elle s’est poin­tée avant midi alors qu’on l’avait annon­cée dès 9h00. Les fans déçus n’ont qu’à reve­nir ; mais il faut com­prendre, aussi : l’hôtel qu’on lui a choisi était SI confor­tâaable, qu’elle s’est réveillée en retard.

« Qu’on lui a choisi », façon de par­ler. On lui avait réservé, comme à tous les autres, un sym­pa­thique deux étoiles, mais la dame a rap­pelé der­rière nous la récep­tion des deux hôtels et elle a fait chan­ger la réser­va­tion. L’Hôtel de la Rivière lui a sem­blé trop cheap pour elle. C’est vrai qu’elle répète par­tout qu’elle a failli avoir le prix Nobel un jour, alors, elle mérite bien un trois étoiles.

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Sur un salon du livre typique, les écri­vains natio­naux…
… sont invi­tés au res­tau­rant trois étoiles pour le menu asperges. Les locaux, et les édi­teurs, peuvent s’offrir ça.

14h30

L’heure du déjeu­ner est pas­sée, et tou­jours pas d’Olivia sur le stand. Elle a sans doute ren­con­tré un de ses nom­breux copains écri­vains, et ils s’échangent les petits bruits du Landerneau. Cela dit, ce n’est pas grave : son livre, per­sonne ne le demande.

16h00

C’est le gros rush, le moment qui jus­ti­fie ces trois jours de galère, et ces semaines de pré­pa­ra­tion. Ils se collent, s’agglutinent au stand. Ils signent des chèques à trois chiffres, ils se passent devant, se marchent sur les pieds…

Frédo des­cend verre sur verre. Il des­sine n’importe quoi, main­te­nant. Des espèces d’amibes sty­li­sées. Il inter­pelle les filles, leur demande leur por­table. Sa copine du moment l’a rejoint, il l’a ins­tal­lée sur ses genoux et il la caresse sous la culotte. Sous le nez des badauds.

18h00

« Rangement time ! » Il n’y a presque plus de visi­teurs. Il est temps de rem­bal­ler les livres. À par­tir de main­te­nant, top chrono, on a une petite heure pour tout rem­bal­ler. Après, ils arrivent pour rou­ler la moquette.

C’est curieux, chez les patrons, ce besoin de faire des phrases au moment où on aurait besoin d’un coup de main. Je me débrouille tout seul avec les caisses, les car­tons, le scotch, les spots, tan­dis que mon gen­til chef tape la dis­cute avec un gen­til confrère. Ici et là, les assis­tants triment, et les diri­geants chougnent : « Non, cette année, c’était plu­tôt mou. J’espère qu’on ren­trera dans nos frais. En tout cas, moi je suis vanné… »

Parfois, il y a aussi des auteurs, autour du stand, qui nous regardent ran­ger avec com­pas­sion. « Pauvre de toi, semblent-ils dire, si j’osais, je t’aiderais pour allé­ger ton far­deau, mais tu vois, je suis un être d’esprit, je ne peux pas abî­mer mes mains sur la sur­face râpeuse d’un carton… »

19h00

Mission accom­plie. Tout est rangé, scot­ché, emballé prêt à rem­bar­quer dans les voi­tures.
Pour patien­ter, elle montre le stand à une copine : « Tu vois, chou­chou, ça c’est le stand de mon édi­teur. Et moi j’étais assise là. Tu veux un livre ? Tiens, prends ! » Et notre presque Nobel, qui a passé en tout dix minutes sur le stand, s’empare d’une sacoche chi­noise, pour la rem­plir avec une sélec­tion de nos bou­quins les plus lourds et les plus chers. Sans rien deman­der à personne.

En pen­sée, je lui sou­haite que la poi­gnée lâche, et qu’elle se fra­casse le pied avec les bou­quins. C’est tout à fait pos­sible. Qui sait ? Les voies de saint Nicolas sont impénétrables.


Et toi, cré­dule inter­naute, as-tu déjà été sauvé par le bon saint Nicolas ? Raconte…

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